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Musard, le Napoléon du quadrille : Les Étudians de Paris (1844) *

Dernière mise à jour : 15 mai 2021



source : Gallica

« De mémoire musicale, on n'a vu de célébrité aussi étendue, de popularité aussi réelle, aussi générale, aussi incommensurable que celle acquise dans l'espace de deux années par ce maestro du quadrille [...]. Il n'est pas un coin de Paris, pas un coin de la France, pas un coin de l'Europe, il n'est ni salon, ni chaumière, ni palais, ni mansarde, où le nom de Musard n'ait été lu ou prononcé, où ses quadrilles n'aient été joués ou dansés, fredonnés ou sifflés. »

("Le ménéstrel", 15 février 1835)



Nous souhaitons ici rendre hommage au compositeur de musique de bal star de Paris au XIXe siècle : le désormais oublié PHILIPPE MUSARD.


Nul autre de ses collègues n'a fait couler autant d'encre que lui.

Nul autre n'a été plus que lui porté aux nues.

Nul autre n'a plus que lui déclenché l'hystérie collective dans les bals.

Des articles de journaux à la pelle. Des ouvrages écrits à sa gloire.

Ses quadrilles cités comme autant de morceaux de bravoure paroxystiques.

Des foules en folie qui le portent en triomphe pendant les bals.


Pourtant, qui se souvient encore de lui ?



Nous n'allons pas refaire ici l'histoire et étudier pas à pas son parcours. Cela a déjà été fait ailleurs, et de manière extensive. Faire la synthèse de tout ce qui a été dit à son sujet déborderait de la mission que nous nous sommes fixée sur ce blog tant il y aurait de documents d'époque à lire !

Pour tout connaître de lui, nous recommandons en première instance l'étude que François Gasnault, auteur de "Guinguettes et lorettes : bals publics et danse sociale à Paris entre 1830 et 1870", a réalisée à son sujet en 1981 [1]. Nous nous contenterons d'y picorer quelques éléments pour les utiliser ci-dessous. (L'étude est disponible ici sur Gallica.)


Né à Tours en 1792, Philippe Musard reste très discret en France jusque 1830, soit jusqu'à un âge déjà confortable. En effet, sans qu'on sache si c'est lié au retour des Bourbon au pouvoir, en 1815 il part pour l'Angleterre et ne reviendra dans sa patrie que quinze ans plus tard... quand les Bourbon seront boutés hors du trône.


Pendant cette période anglaise, Musard se fera un nom outre Manche. En France, on remarque une collaboration avec l'éditeur de musique Collinet, mais rien qui déclenche vraiment l'attention.


En 1830, par contre, c'est le retour. Et à partir de là, la montée en puissance de Musard comme figure de référence de la musique de bal française ne trouvera aucune limite jusqu'à son décès en 1859.


Il travaille dès le carnaval de 1831 comme chef d'orchestre pour les bals masqués du Théâtre des Variétés .

Durant l'été 1833, associé à l'entrepreneur de spectacles Masson de Puitneuf, il prend possession d'un lieu de concert nouveau, en plein air, sur les Champs-Élysées.


source : L'Illustration, journal universel

La belle saison finie, l'orchestre Musard trouve refuge au lieu dit "Bazar Saint-Honoré", qui s'appellera bientôt le "Concert Musard".

Porté par sa maestria, il dirige le Bal de l'Opéra du carnaval dès 1834. Avant lui, les bals étaient convenus, ennuyeux (exception faite du scandaleux carnaval de 1833 que nous évoquons ici). Il les transformera en lieux de divertissement exceptionnels. S'il s'en occupera par intermittence à travers les années, c'est surtout parce que les autorités douteront régulièrement qu'il est bien raisonnable de laisser la foule s'abîmer dans les extrémités orgiaques où il la mène, même pendant la période festive du carnaval.

En 1836, l'égo de Musard, son talent, son savoir-faire le pousse à s'affranchir : il investit une salle rue (Neuve-)Vivienne et y transfère son "Concert Musard".

Il dirige un orchestre d'une centaine d'instrumentistes, pas moins.


Depuis le début, le concert Musard est le lieu de toutes les extravagances musicales. Nous reviendrons dans un article futur sur certaines de ces audaces qui ont laissé des souvenirs indélébiles, y compris chez les chroniqueurs mondains. (Nous sommes en train de réfléchir à la meilleure façon de les faire revivre...) Il fera, par exemple, jouer des morceaux de bal sur une orgue qu'il a fait installer dans sa salle alors que, rappelons-le, la finalité d'une orgue est d'abord religieuse. Mais c'est certainement une de ses moindres extravagances...


En l'espace de quelques années, Musard devient une institution.

Même s'il est d'un aspect et d'une humeur assez sinistre, même s'il est plutôt laid, le visage, dit-on, mangé par la petite vérole (alors que sur les gravures on ne voit au plus que quelques lésions d'un côté de la bouche),


son pouvoir de meneur d'hommes, de compositeur et de chef d'orchestre hors pair qui "sent" tellement bien le désir des foules qu'il les mène vers des états d'hystérie est un fait incontestable, connu de tous.


On pourrait dire encore beaucoup de choses de Philippe Musard. Nous en dirons effectivement plus dans le futur. Néanmoins, nous voulions clore ce premier article dédié à sa gloire d'une manière ludique.


Le 8 novembre 1837, Musard profite de la tournée de Johann Strauss (père) à Paris pour l'inviter à son Concert pour une confrontation musicale. Pour le plus grand bonheur du public, Musard, le Napoléon du quadrille (comme on le surnomme), rencontrera Strauss, le roi de la valse.


« Plus de 3.000 personnes se pressaient hier salle Vivienne pour juger une lutte d'amour-propre national. Strauss était avec ses vingt-six virtuoses, Musard avec ses soixante artistes et le public avec son ardente curiosité. L'Allemagne et la France avaient là leurs représentants, la mesure à trois temps comptait ses partisans, la mesure à deux temps ou à 6/8 les siens. Les ravissantes valses du maestro autrichien exécutées avec une vigueur inouïe par vingt-six musiciens ont provoqué un enthousiasme général. Musard s'est surpassé. Un double triomphe est donc résulté de ce concert. Strauss et Musard ont loyalement partagé l'admiration du public parisien. »

(L'entracte, 9 novembre 1837, tel que cité par François Gasnault.)


François Gasnault voit dans cette performance stratégiquement décrite par le journaliste et diversement interprétable (si Musard "s'est surpassé", c'est qu'il en avait donc besoin ?) une façon de dire que, tout de même, Johann Strauss c'est mieux ! Si elle est avérée, cette vision est somme toute prémonitoire de ce qui arrivera des décennies plus tard : si la famille Strauss squatte les bals des reconstituteurs modernes de réjouissances XIXe, il y a peut-être une raison. Ou pas. Il nous semblait crucial de vérifier, mais aussi de rétablir une chronologie dans les musiques de bal : rappelons que le "Neue Melodien Quadrille" de Johann Strauss fils, quadrille "phare" des bals des reconstituteurs modernes (francophones en tout cas), n'a été joué pour la première fois qu'en... 1861 !

Sur quels quadrilles pouvait-on bien danser en bal à l'époque de Musard ?


Pour nous éclairer sur ces points, nous avons fait reconstituer un de ses quadrilles. En effet, François Gasnault évoque la possibilité d'écouter certains d'entre eux pour se rendre compte du talent du maestro, mais s'il a pu en écouter certains nous ne savons pas où ! Il nous a donc été nécessaire d'entamer nous mêmes une "collection Musard" (en plus du très tonitruant quadrille "Stradella" qu'on trouve sur YouTube) pour nous faire notre propre opinion.


Nous n'avons pas choisi au hasard : le quadrille "Les Étudians de Paris", qui nous a occupés, a laissé des traces dans les journaux. Comme mentionné dans "Le Ménéstrel" du 25 février 1844, il "a eu un succès immense" et "chaque fois [que Musard] le fait jouer, on en bisse toutes les figures." De plus, "dans un moment d'enthousiasme, les nombreux auditeurs ont porté l'auteur en triomphe autour de la salle" (ndr : ce dont il est en fait assez coutumier) !



source : Gallica

Un an plus tard, "Le Ménéstrel" du 2 mars 1845 nous donne une indication sur les musiques de ce quadrille tandis qu'il fait un parallèle entre Philippe Musard et son fils, lui aussi musicien...


source : Gallica

Il semble que les "quadrille des Étudians", comme ils l'appellent, soit composé de "mélodies populaires". Nous en avons reconnues deux. Si d'aventure quelqu'un reconnaît les mélodies de l'été, la poule ou la pastourelle, qu'il se manifeste à nous !

Quant à la finale, nous avons la conviction qu'elle opposera les Belges aux Français pour son interprétation : les habitants du Plat Pays voudront des bonbons, les Hexagonaux chercheront un animal domestique !



Pour réaliser cette reconstitution, nous avons fait appel à un complice. Le musicien Ilkay Bora (son site est ici) a reconstitué et orchestré le quadrille pour nous, sur base des partitions pour quintette et pour orchestre. Les percussions sont de son cru car elles n'étaient pas décrites, mais elles nous semblaient néanmoins essentielles pour un quadrille de carnaval ! En effet, on sait que le brouhaha des "timbales, trombones, tam-tams, grosses caisses et d'un douzaine de tambours" utilisés au Concert Musard était tel que les curieux, même mis à l'écart de la fête par une "barrière assez éloignée", pouvaient en profiter. C'est ce que dit ici Jean de Marlès [2] :


extrait de Paris ancien et moderne [...], Volume 3, 1838, page 441.

Grand merci à Ilkay pour cette évocation de la folie mélodique de Musard ! En espérant que cette version rende hommage au maître français oublié !



(Ilkay aime particulièrement la pastourelle, personnellement je trouve l'été irrésistible, bien que plus simple de composition. Je comprends en tout cas pourquoi ce quadrille a pu être un succès au carnaval ! et vous ?)


* ndr : "étudiants" est ici orthographié comme il était d'usage en 1844, c'est-à-dire sans la consonne muette "t".


REFERENCES ADDITIONNELLES


[1] Bulletin de la Société de l'Histoire de Paris et de l'Ile-de-France, 108e année, 1981, page 117

[2] Paris ancien et moderne; ou, Histoire de France divisée en douze périodes appliquées aux douze arrondissements de Paris, et justifiée par les monuments de cette ville célèbre, Volume 3, 1838, page 441.

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