top of page
  • yvesschairsee

un quadrille des lanciers impérial ? (1856-7)

Dernière mise à jour : 9 août 2022


le quadrille des lanciers, probablement par Gustave Janet, collections du Musée Carnavalet

Cet article fait suite à un premier que nous avons écrit il y a plusieurs mois. Nous vous y faisions part de notre ambition de trouver qui a bien pu importer le quadrille des lanciers en France vers 1856 et a permis à ce quadragénaire britannique de devenir un citoyen français particulièrement populaire.


Dans cette recherche, le maître de danse Laborde était un suspect particulièrement intéressant : en effet, comme nous l'expliquions dans notre 1er article (à trouver ici), il fait grand bruit au Casino-salon de Trouville pendant l'été 1856 en y faisant danser ce quadrille.


Néanmoins, il faut bien reconnaître que l'origine des Lanciers laisse déjà indécis les journaux de l'époque et que, déjà alors, d'autres responsables sont pointés du doigt.


"Le Ménéstrel" du 16 août 1857 dit : "Le célèbre quadrille des Lanciers nous est venu par les bains de mer, par Dieppe et Trouville, où MM. Laborde et Cellarius l'avaient acclimaté l'été pour le populariser l'hiver à Paris."


Ainsi, les journaux citent Bernard Laborde mais aussi le maître de danse Henri Cellarius. Et en 1857, mettre ce binôme en présence est très loin d'être un nouveauté !


LABORDE ET CELLARIUS


Nous vous avons déjà parlé d'une opposition montée en épingle par les médias, bien avant, dans les années 1830 : celle qui mettait en présence le sombre Musard et le flamboyant Jullien, se disputant le titre de chef d'orchestre le plus génial des bals parisiens.

Il semble que les journaux se soient emparés d'une autre paire d'hommes particulièrement pratiques à opposer dès les années 1840 : les maîtres de danse Laborde et Cellarius.


Dès 1844, les journaux font leurs gorges chaudes de leur rivalité. A l'époque, chacun des deux essaye d'imposer dans les salons sa façon de danser la polka. Mais ce n'est que le commencement : les journaux les compareront jusqu'à leur... mort !


Dans "le Constitutionnel" du 13 janvier 1846, on dit :


portrait probable de Cellarius, suivant le frontispice du Cellarius polka quadrille de Jules Martin

Selon l'acte de naissance que nous avons retrouvé, Cellarius est le fils d'un potier et d'une blanchisseuse. Son père "vient de l'est", sans que nous sachions avec certitude s'il était originaire du département français du Bas-Rhin, d'un département français en territoire allemand comme il en existait avant la chute de l'Empire en 1814 ou si son histoire s'enfonce plus loin encore dans les terres germaniques.

Il a un aspect, et probablement une attitude, un peu austère. Dans la même édition, "le Constitutionnel" dit en effet : "Cellarius a l'air notaire ; il est grave, méditatif ; il ne rit jamais ; il est artiste ; il fait de l'art."

Dans sa chronique "Dieppe" publiée en 1927, Jacques-Emile Blanche se souvient des cours de danse de son enfance : "M. Cellarius, en habit noir et escarpins, fardé, la barbe noircie..."


Pierre-François (dit Camille) Ladvocat, sosie supposé de Bernard Laborde. Lithographie de Grévedon

Laborde, lui, a un aspect, et probablement une attitude, beaucoup plus avenants. C'est le fils d'un pensionné de l'armée devenu maître de danse.

"Le Constitutionnel" dit : "Laborde réussit par des moyens opposés : sa figure est béate, rose et réjouie. Il suit les modes, et sourit toujours; il ressemble un peu à Camille Ladvocat, et ce n'est pas nous qui le plaindrons de cette heureuse ressemblance. Les bals de Laborde ont la couleur et l'entrain de sa physionomie ; plus gais peut-être que ceux de Cellarius, ils sont moins école de danse ; on y apprécie plus un joli visage qu'une polka irréprochable. Mais Laborde l'emporte sur Cellarius du côté de l'orchestre ; il a [Isaac] Strauss, et Cellarius n'a pas Musard !"


L'avènement des Lanciers permet de faire une nouvelle démonstration de leur rivalité.


Ce qui est sûr, c'est que si Laborde a fait date au Casino-salon de Trouville pendant l'été 1856, Cellarius a quant à lui investi un lieu éminemment symbolique pour y enseigner les Lanciers (d'origine britannique rappelons-le) : l'Ambassade d'Angleterre à Paris ! Les annonces pour ses cours dans les journaux semblent cependant sans appel : nous n'avons rien vu mentionné avant 1857.

Pour éclaircir le timing et les circonstances, nous avons contacté l'ambassade, qui ne conserve malheureusement pas d'archives aussi anciennes (et probablement pas pour un sujet aussi futile). Il ne nous est donc pas possible d'expliquer ces cours "de l'intérieur".


Cellarius s'empare-t-il des Lanciers avant ? Comme mentionné plus haut, des journaux laissent penser que les Lanciers de Cellarius étaient dansés aux Bains de Dieppe pendant l'été 1856, alors même que Laborde anime les danses au casino-salon de Trouville.

Ce qui est sûr, c'est que les Cellarius sont présents dans la station dès 1851 :


Dans son édition du 18 juillet 1851, la "Vigie de Dieppe" dit : "On se plaignait depuis long-temps d'une lacune qui existait dans les choses nécessaires à l'éducation des enfants, nous voulons parler de la danse, cet exercice qui est tout à la fois d'agrément et d'utilité. Cette lacune va être comblée, au moins pendant la belle saison Mlle Cellarius, dont le nom est célèbre dans l'art chorégraphique, s'est décidée à ouvrir un cours de danse dans le grand salon des bains chauds, que l'administration s'est empressée de mettre à sa disposition. Nous

sommes heureux d'annoncer cette nouvelle qui sera accueillie avec plaisir par les familles."


Dans le même journal le 1e août de la même année, on dit : "Ainsi que nous l'avions prévu, les cours de M. et Mlle Cellarius ont obtenu le succès que nous avions prédit. Les familles ont vivement apprécié tout le parti qu'elles pouvaient tirer de la présence de ces professeurs si distingués et nos aimables baigneuses vont chaque jour se perfectionner dans l'art de la danse sous leur habile direction."


Peu avant le 21 juillet 1854, M. et Mlle Cellarius sont attachés à la direction des bains.


Il est donc plus que probable que les Cellarius étaient bien sur place pendant l'été 1856. Mais qu'en est-il du quadrille ?


Dans sa chronique consacrée à Dieppe déjà citée plus haut, Jacques-Emile Blanche se remémore ses cours de danse dans la station : "M. et Mme Cellarius tenaient un cours de maintien dans la salle des Bains Chauds, construits par Mme la duchesse de Berri. Sous les girandoles et les pâtisseries dorées du plafond, on nous enseigna les « quatre positions », le quadrille des lanciers, la polka, la redowa, la valse et la scottish."


Cet enseignement des Lanciers est malheureusement non daté, et à l'heure où nous bouclons cet article, nous n'avons aucune preuve qu'il ait été dansé chez les Cellarius pendant l'été 1856. Et c'est bien Laborde qui voit ses Lanciers promotionnés dès la mi-août 1856 par "le Ménéstrel", revue qui va jusqu'à les éditer.

Alors, pourquoi nous intéresser ici à Cellarius ?


D'une part parce qu'opposer les deux est, comme nous l'avons vu, une espèce de tradition.

D'autre part, s'il nous semble clair que Laborde a précédé Cellarius, il nous semble clair aussi qu'une bataille a eu lieu entre eux pour le "leadership" sur les Lanciers


LES LANCIERS DE L'IMPERATRICE


Le "Journal amusant" du 21 février 1857 publie un article sur "La guerre des lanciers". Grosso-modo, le journaliste s'y étonne des nouvelles contradictoires publiées dans les journaux donnant une fois l'un, une fois l'autre de nos deux maîtres de danse comme détenteur des Lanciers authentiques de la cour impériale :

"Dissidence, schisme, concurrence et bataille, voilà le résultat final de la nouvelle épidémie dont les tibias [pari?]siens sont atteints depuis deux mois. [...]

CELLARIUS et LABORDE ! Voilà les deux cris de [rallie?]ment en l'an de grâce 1857.

Laborde ! Cellarius ! deux matadors, deux chefs d'école, deux notabilités du flic-flac et du jeté-battu ! Entre deux, mon pied balance. Lequel des deux possède le [qua]drille des lanciers authentique et pur sang ! Où est la vérité ? où est l'erreur ? où est la lumière ? où est L'étoile [...] qui me guidera au milieu de ces ténèbres, au milieu de ce chaos, au milieu de ces moulinets et de ces révérences !

Le fait est que l'émeute et le tohu-bohu sont au camp des danseurs, le trouble et la confusion règnent dans les salons. Et cette anarchie chorégraphique réagit sur le feuilleton, jette le désordre dans la presse, détraque le cerveau de nos journalistes, fait divaguer, radoter la troisième et la quatrième page.

Oyez plutôt :

« M. Laborde a été mandé à la cour pour régler le quadrille des lanciers, tel qu'il se danse dans les salons aristocratiques de Paris et de Londres. M. Strauss assistait à cette conférence de haute étiquette. »

En lisant cette réclame semi-officielle, vous croyez être fixé. Tarare ! vous ne l'êtes pas. Car le même journal vous offre à la quatrième page cette annonce significative :

« QUADRILLE DES LANCIERS. M. Cellarius est le seul qui enseigne le quadrille des lanciers tel qu'il est dansé à la cour et à l'ambassade anglaise (et par M. Lassagne aux Variétés). »


N'est-ce pas que c'est épâtant ? Tirez-vous de là si vous pouvez.

(ndlr : le journaliste veux dire : "essayez d'y comprendre quelque chose".)"


Dans "La Revue du Souvenir Napoléonien" de mars 1978, le général de Cossé Brissac rapporte les souvenirs de la Marquise de Latour-Maubourg, sœur de son grand-père. Elle fut dame d'honneur de l'Impératrice Eugénie et est d'ailleurs représentée tout à droite sur le tableau de Winterhalter, tenant un chapeau de paille à la main.


"L'Impératrice Eugénie entourée de ses dames d'honneur", par Winterhalter, 1855

Ses mémoires sont consignées dans un petit manuscrit possédé par sa famille. L'ouvrage, rédigé vers 1870, relate des scènes quotidiennes vécues au Palais des Tuileries. Entre autres activités, la marquise relate les suivantes, qui avaient lieu dans la galerie de Diane :


«Dans la galerie de Diane, nos séances pour apprendre le quadrille des lanciers par la méthode Cellarius, d'abord, et, ensuite selon les principes Laborde…»


La confrontation entre Laborde et Cellarius a donc pris place jusque... dans les salons des Tuileries !

C'est en soi assez étonnant puisque les deux maîtres de danse ont leurs propres variations dans la chorégraphie du quadrille. Ainsi, au terme des cours, est-ce que les cavaliers balançaient avec la dame à leur gauche (Cellarius) ou leur faisaient-il des saluts (Laborde) après le retour des tiroirs de la 1e figure ? De même, faisaient-ils la grande chaîne de la dernière figure en pas de polka (Cellarius) ?


Dans son ouvrage "Les Tuileries sous le second Empire" daté de 1932, Jacques Boulenger relate une anecdote sur l'apprentissage des Lanciers aux Tuileries qui tendrait à prouver que c'est plutôt la méthode Cellarius qui devait être suivie :

"Un soir, vers 1855, que la comtesse de Tascher se préparait à partir pour un bal , le chambellan de service de l'Impératrice apparut : Sa Majesté pensait que mademoiselle de Tascher , qui prenait des leçons de danse à l'ambassade d' Angleterre (ndlr : lieu où exerce Cellarius), devait connaître les figures du quadrille des Lanciers ; ne voudrait -elle pas venir les montrer à l'Impératrice et à ses dames dont aucune ne les savait ? [...] On prit les couloirs, on traversa la salle des Travées, la galerie de la Paix, la salle des Maréchaux, tous les salons, la galerie de Diane et l'on arriva ainsi sans mettre le pied dehors jusqu'aux appartements de l'Impératrice [...]"

(On trouvera la même anecdote expliquée de manière un peu plus extensive dans "L'Impératrice Eugénie et ses femmes" de Thècle René-Lafarge, 1938)


Cette anecdote survient-elle avant que les Lanciers soient enseignés dans la Galerie de Diane ? Il nous semblerait naturel que les maîtres de danse les plus en vue de la place parisienne aient été invités au Palais après qu'une dame de la cour ait essayé d'enseigner le quadrille à l'Impératrice entre deux portes ! Néanmoins, nous n'en avons aucune preuve ! Il nous semble cependant clair que c'est Cellarius et/ou Laborde qui a/ont donné forme au quadrille dansé à la Cour.

ET APRES ?


Etant donné que beaucoup de reconstituteurs modernes aiment balancer dans le 1e figure et se déplacer en pas de polka dans la 5e, peut-on dire que sur le long terme c'est Cellarius "qui a gagné" au jeu de la postérité ?

En fait, c'est plus compliqué que ça !


En effet, si Cellarius dit bien de faire le tour en pas de polka pour la 5e figure, il dit aussi qu'il faut s'arrêter 4 fois en marquant le pas. Ses instructions sont les suivantes : "Grande chaîne plate jusqu'à ses places (16 mesures) [...] Dans la grande chaîne plate, il faut s'arrêter toutes les 4 mesures en marquant le pas de la Polka sur place et en donnant la main droite à la main droite de la dame de vis-à-vis, sans cela on arriverait trop vite à ses places." Deux arrêts seulement chez Laborde, et sans pas de polka. Mais des arrêts qui prennent la forme de saluts/révérences. Le maître dit exactement : "Grande chaîne : Main gauche en main gauche ; salut et révérence à la moitié de la grande chaîne quand le cavalier et sa dame se rencontrent ; de même en arrivant à leur place."


On le voit, la façon dont les variations ont été assemblées dans les différentes versions des Lanciers et comment elles ont évolué au cours du temps est un sujet particulièrement complexe compte tenu de tous les maîtres de danse qui y sont allés de leur version. Une telle étude nécessiterait un travail minutieux qui déborde le cadre de cet article : dans cette série, nous avons "simplement" ambitionné de trouver qui a importé les Lanciers en France !

A ce titre, il nous semble clair que ce n'est pas Cellarius ! Laborde reste le plus probable des deux, néanmoins comme cette série sur les Lanciers n'est pas terminée, on peut déjà vous dire qu'on a au moins 2 autres suspects !

RECONSTITUTIONS


Nous mettons ici le lien vers deux interprétations existantes du quadrille des lanciers. L'une par des membres de "Temps de Danse" : c'est la version dansée par bon nombre des reconstituteurs de bals Second Empire en France. La seconde est celle dansée pendant le bal de Polytechnique.


Renseignements pris auprès de Daniel Piedfer, le maître de danse de Polytechnique, ce sont les instructions de Giraudet qui servent de base à la chorégraphie de la Grande Ecole parisienne. Pour la grande chaîne dont nous avons déjà parlé plus haut, Giraudet dit : "à la rencontre de sa dame, ils se saluent", ou encore "[on salue] [...] par un pas en arrière à la rencontre de sa dame dans la 5e figure des lanciers". Sur ce point précis, Giraudet est donc plutôt labordien ! C'était peut-être aussi le cas des danseurs croqués sur la gravure de 1857 qui ouvre cet article : en effet il semble évident qu'ils ne polkent pas pendant cette grande chaîne, mais qu'ils marchent simplement.


REMERCIEMENTS


La matière qui a servi à écrire cet article a été amassée grâce à un nombre inégalé de contacts depuis que nous écrivons ce blog. Il est donc normal que nous remerciions ici toutes les personnes et institutions qui ont apporté leur pierre à cet article :


Merci à Yvonne Vart d'avoir répondu à nos questions sur les Lanciers et en particulier d'avoir recherché pour nous quelles instructions avaient été données par différents maîtres de danse pour se mouvoir sur la grande chaîne plate.


Merci à Richard Powers, Mike Gilavert et Julien Tiberghien d'avoir partagé avec nous les informations à leur disposition qui nous ont permis d'avoir un minimum de certitudes sur la physionomie de Cellarius, en particulier toutes les images le représentant potentiellement. Nous avons fait notre choix ! Merci aussi d'avoir joué au jeu de celui qui a trouvé la plus belle signature du maître ;-)


Merci à Anne-Béatrice Muller de nous avoir permis d'entrer en contact avec Daniel Piedfer, le maître de danse de l'école Polytechnique et merci, bien sûr, à ce dernier d'avoir répondu à nos questions.


Merci à la Mairie de Dieppe et en particulier à Olivier Nidelet de nous avoir orienté vers les archives de la "Vigie de Dieppe". Merci à Guy Turquer, le président des "Amys du Vieux Dieppe".


Merci au Conservatoire de Genève, aux Archives Nationales et à la BNF.


Merci à l'Ambassade d'Angleterre à Paris de nous avoir répondu même si nous n'avons pas fait la récolte d'informations espérée !


SOURCES


Le lecteur intéressé pourra consulter le quadrille Laborde sur Gallica, où il est désormais disponible : le lien est ici.

Nous enverrons le quadrille Cellarius à toute personne qui nous le demandera via notre menu "contact".



929 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page