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L'expérience russe (2) : l'axe France-Russie

Dernière mise à jour : 29 juin 2021



Cet article fait suite à l'interview d'Elena Anosova, qui nous parle de la danse historique pratiquée en Russie dans l'article que vous trouverez ici.


Trois témoins actifs en France ont gentiment accepté de répondre à nos questions pour compléter ce regard que nous portons sur la danse historique en Russie :


La globe-trotter Elena Meunier, cheville ouvrière des cours de danse historique de "Artécole pour tous" à Bordeaux, également couturière et patronne de "Voyage au 19e siècle". Originaire de Russie, c'est sur place qu'elle s'est initiée à la danse historique, dans les environs de Moscou.


Julien Tiberghien, patron d'"Affordanse" avec Marie-Emilie Cappel. Il officie très haut dans les Hauts-de-France et a eu l'occasion de donner des stages de danse historique à Moscou à l'invitation de "Trianon Studio".


Benoît Habert, danseur historique et pilier de "Carnet de Bals" depuis de nombreuses années. Il a eu l'occasion de participer au stage de danse historique de "Trianon Studio".


Elena et Antoine Meunier

Comment as-tu eu contact avec la danse historique en Russie :


Elena Meunier : C’est un peu par hasard que nous avons découvert la danse historique en Russie, quand nous vivions à Moscou : en cherchant une idée de sortie culturelle pour un team building professionnel. Notre famille, située à Rostov le Grand, ville historique de Russie, nous a proposé de participer à un bal, un bal historique en costume. Et... c'était vraiment extraordinaire ! Un moment magique. Une belle surprise pour cette presque première fois ! Ce premier bal se passait dans une école. Il y avait beaucoup de gens. Un régiment de cadets était situé pas très loin et des cadets sont venus au bal !

Nous avions déjà participé à des contredanses dans un cadre historique mais il y avait bien longtemps, en Angola, à l'ambassade anglaise avec des amis.

Ce soir-là, à Rostov le Grand, il fallait voir la magie opérer : imaginez une salle du XIXe siècle, remplie de couples de tous âges, en costumes d'époque, tous portés par un orchestre jouant sans cesse jusqu’à l'aube les différents morceaux du programme des danses de cette longue soirée festive. Il ne manquait que les calèches en sortie pour ramener les convives afin de parfaire ce retour dans l'Histoire et la culture.

Depuis, la passion pour cette période n'a fait que de se renforcer. Nous avions déjà construit notre maison victorienne à Bordeaux, de nombreuses années auparavant. De retour en France quelques années plus tard, j'ai participé au développement d'"Artécole" en y intégrant des cours de danse historique. Et j'ai développé mes activités dans la couture de costumes d'époque. Je suis maintenant reconnue comme "Artisan d'Art" pour mon activité avec "Voyage au 19ème siècle". Le patrimoine festif, c'est ce que l'on promeut, des grands bals ou des mariages historiques, en costumes fidèles, dans des lieux d'exception en France ou Russie.

Julien Tiberghien et Marie-Emilie Cappel

Julien Tiberghien : Nous avions été informés qu'il y avait un stage à Moscou. Cela faisait longtemps que nous voulions y aller. On en a profité pour visiter Saint Pétersbourg avant. Après coup, nous avons vu que des amis de Carnet de Bals était aussi présents au stage, un heureux hasard qui nous a fait passé une semaine assez incroyable.

En partant du stage d'été de 2016, j'ai remercié Egor et Elana pour leur accueil et je les ai invités à passer chez nous si un jour ils venaient dans notre région. Ce qu'ils ont fait l'année d'après. Ils sont venus passer une semaine à la maison et nous les avons invités à venir lors d'un de nos cours. Nous sommes ensuite partis ensemble à un bal sur Paris.

Il est arrivé à peu près la même chose l'année suivante. Ils nous ont alors proposé de faire partie des professeurs du festival de 2019 à Moscou lors duquel nous avons eu l'immense plaisir d'enseigner aux côtés de notre amie Sylvia Hartung.


Benoît Habert : J'ai appris à connaître les danses historiques en Russie via Carnet de Bals. Arnaud Degioanni était invité à Trianon Studio pour participer au stage international.


D’après ce que tu as pu en percevoir, qui fait de la danse historique en Russie ?


E.M. : En France, les passionnés de danse sont surtout ceux qui ont le temps et qui se passionnent pour la culture et l'Histoire. La moyenne d’âge est donc assez élevée. Quand nos enfants dansent, ce sont de loin les plus jeunes ! En Russie, on sent bien que la culture passionne les jeunes, de même que les traditions, et que cette époque pas si lointaine du XIXème siècle fait partie de la culture et des traditions. Peut-être une volonté de retrouver le faste du passé, d'avant la révolution ? En tout cas, il y a une curiosité pour l'Histoire dans toutes les générations, même chez les plus jeunes.

C'est bizarre... Je pense que ça vient du système scolaire. Je pense que la littérature, ça fait rêver. Les personnages de Tolstoï, de Pouchkine font rêver. Natalia Gontcharova (la femme de Pouchkine) aussi... Toutes les Russes rêvent de porter les robes de Natalia Gontcharova !

Les [anciennes] danses sont depuis longtemps oubliées. C'est bien dommage car la France éclairait le monde à cette époque post-Siècle des Lumières.

Quand je demande en France aux jeunes ce qu'ils connaissent de la littérature, et de leur histoire, je constate qu'ils ne connaissent pas grand-chose ! Alors, il connaissent encore moins les danses qui ont tant fait danser. Elles sont depuis longtemps oubliées. C'est bien dommage car la France éclairait le monde à cette époque post-Siècle des Lumières.

Natalia Gontcharova

En Russie, de très nombreux jeunes sont plus proches de la culture classique. Les écoles sortent écouter la musique dans les conservatoires. Dans chaque ville suffisamment grande, il y a un théâtre municipal où on peut voir des spectacles de la littérature classique. L'accès à la culture est démocratisé. En conséquence, il y a beaucoup plus de jeunes qui dansent. Aussi, les jeunes enfants sont acceptés lors de nombreux bals, ils ont leur propre programme, ce qui permet à beaucoup de jeunes parents de danser en liberté.


En France, l'accès à la culture semble plus difficile, les écoles vont rarement voir des spectacles de musique, ni au théâtre ! La culture paraît réservée à une élite et trop peu connaissent leur Histoire, littérature, et in fine peu développent de l'appétence pour les bals historiques.


J.T. : La diffusion de la danse historique en Russie est assez surprenante. En fait, il y a une sorte de "revival" de la danse historique en Russie depuis une bonne dizaine d'années, et particulièrement chez les jeunes. Ce qui n'est pas le cas en Europe de l'Ouest. Il y a en effet beaucoup de groupes (plus de 50 rien qu'a Moscou) et certaines villes et groupes sont très dynamiques et demandeurs en danse historique.

Globalement, je dirais que les groupes apprécient particulièrement les bals "thématiques" : steampunk, médiéval, Empire, Victorien, Edwardien, Ragtime, Années folles, etc. Et ils n'hésitent pas à y mêler les danses de différentes périodes. Et, comme nous, ils aiment les salles avec un cachet historique.

A l'inverse de l'Europe de l'Ouest, ils ont quasi systématiquement des orchestres lors de leur bal.

Un autre point qui m'étonne, c'est leur passion pour la danse écossaise !


B.H. : Trianon Studio tente d'organiser la danse historique en Russie de la même manière que Carnet de Bals tente de le faire en France. En Russie, ils cherchent à dynamiser la danse historique. Je veux dire par là que les Russes, à ce que j'ai compris, sont sensibilisés à la danse historique dès l'école. Donc, il y a beaucoup de personnes qui peuvent danser. La problématique là-bas est donc d'inciter ces jeunes à continuer la danse historique après l'école.

En France, les diverses associations tentent surtout de ranimer, sinon de faire survivre la danse historique, malgré sa reconnaissance par les autorités officielles comme la Fédération Française de Danse.


Y a-t-il des différences entre la manière de danser en Russie et en France ?


Guerre et Paix, par Tolstoï, édition de 1873

J.T. : Oui ! D'abord, les Russes ont un grand respect des professeurs et exécutent sans jamais se plaindre les directives qui peuvent être données dans un cours de danse. C'est extrêmement agréable que l'on soit danseur ou professeur. Un cours est assez studieux, et sérieux. Quand quelque chose ne va pas, on le sait vite, et c'est pertinent.

Lors d'un bal, comparés aux Français, les Russes sont aussi très sérieux et contenus. De prime abord, il n'y a pas d'éclat de folie comme on peut l'avoir en France. Ils sont soucieux et scrupuleux de bien faire ce qu'ils ont appris. Peut-être trop sérieux. Dans les bals français nous avons ce côté grain de folie et par moment irrévérencieux, sans tomber dans la parodie que nous avons hérité de Musard et Offenbach (ndlr : 2 exemples historiques de danses incontrôlables "à la française". En passant, merci à Julien de parler de Musard auquel nous avons consacré 2 articles à ce jour : ici et ici).


E.M. : Les danses historiques sont très codifiées, à chaque danse ses figures imposées et il est donc facile de danser en France ou en Russie quand on connaît les fondamentaux. Certains groupes en France sont précis et excellent dans la maîtrise des pas. En Russie, cette maîtrise des danses est semble-t-il encore bien plus fréquente (ndlr : Elena Meunier parle surtout ici des pas Ier Empire). Il se pourrait que ce soit dû aux activités parascolaires qui sont orientées vers l'excellence dans l'ancien pays des Tsars. Je suppose que ce goût pour la maîtrise se poursuit une fois adulte.

Bal des Tsars et des Tsarines, à Paris

Lors des danses, on ne voit pas les nationalités. Ainsi quand "Voyage au 19ème siècle" organise les danses en costumes d'époque du "Bal des Tsars et Tsarines" chaque Janvier au Cercle Interallié, il est très facile pour les maîtres à danser Sergei Sosnitskii et Anna Nikolaeva (ndlr : qui viennent à Paris) de mener Russes et Français, et autres nationalités, de concert, sur les pas des quadrilles et autres « triolet » ou « Gascon volage ». Un grand moment de partage et de relation culturelle grâce à Anastassia Gai, l'hôte de ce rendez-vous.

Afin de développer les danses du XIXe sur Bordeaux, j'ai eu la chance de m'associer à Svetlana Loguinoff, présidente d’«Art Ecole pour tous » à l’époque.. Le but c'est de démocratiser la culture, de rendre ces danses accessibles au plus grand nombre. Le président actuel Jean-Luc Belleinguer est à la manœuvre avec notre professeure Yana Zarichna pour faire de cette section danse historique un groupe dynamique et passionné où jeunes et plus anciens progressent dans leur maitrise des contredanses et polkas. Tout est réuni pour qu'avec "Voyage au 19ème siècle" je puisse continuer à promouvoir et démocratiser ce patrimoine commun entre la France et la Russie.

Trianon Studio, stage de danse historique 2019

B.H. : Techniquement il n'y a aucune différence. En revanche, dans l'état d'esprit, c'est plus distant. En Russie, la discipline est plus prégnante qu'en France. En France, l'esprit festif est plus marqué. En outre, les danses libres ont des codes différents. En France, le cavalier invite une cavalière à danser jusqu'à la fin de la musique. En Russie, le cavalier invite en général pour 3 tours de piste (ndlr : et peut donc abandonner sa cavalière au beau milieu d'une danse) !


Les Russes sont-ils organisés autour d’un corpus commun de connaissances ou y-a-t-il autant de façon de danser qu’il y a de groupes de danse ?

Tolstoï

J.T. : Ici je livre ma vision... Je dirais qu'un répertoire de base se dessine depuis quelques années lors des bals russes. Pour parler de la période que je maîtrise le mieux (1844 - 1939), je dirais que celui-ci s'est construit avec les premiers groupes des "jeunes" russes passionnés de danse historique de l'époque d'Alexandre 1er, qui se sont intéressés à ce qui se passait hors de leurs frontières. Notamment grâce à l'ouverture sur le monde qu'à permis le web.

Je dirais donc que 3 grandes lignes se sont dessinées : Une ligne italienne, une ligne Française, et une ligne états-uniennes. (Il y a bien sûr le répertoire russe que je n'ai pas cité.)

A cet effet, il me semble que se sont ancrées de nombreuses reconstitutions et créations du chercheur et chorégraphe étatsunien Richard Powers. Je pense notamment à la fameuse Romany Polka, la Bohemian polka (ndlr : aussi appelée "Feuerfest polka") ou le quadrille Mazurka Russe. Le Quadrille français est à mon sens devenu un standard si j'ose dire, ainsi que les Lanciers. Pour lequel on peut constater des variations italiennes dans certains groupes, a l'instar du Français qui a lui aussi ses variations Berlinoises. Le quadrille du Prince Impérial semble lui aussi bien implanté.

Toujours est-il que j'ai constaté que les Russes aimaient la reconstitution mais qu'ils appréciaient aussi grandement la création. Ils sont d'ailleurs très prolifiques en belles chorégraphies.


B.H. : Je ne connais que le groupe Trianon Studio. En revanche, j'ai pu constater que les groupes pouvaient avoir des spécialités, en raison des préférences et des spécialités des professeurs de danse. Ces spécialités sont souvent organisées par période.


Recommanderais-tu le stage international de danse historique organisé par "Trianon Studio" ? Elena Anosova en dit que c'est une semaine tout à fait éreintante, quasiment surhumaine...


J.T. : Absolument ! D'une part un stage est toujours intéressant sur tous les plans : chorégraphique, culturel, etc. Et même si la langue peut faire peur, la danse est un langage universel. La Russie est aussi un magnifique pays.

Concernant le côté "surhumain" d'un tel stage, je dirais qu'il est en effet intense : cours + bal tous les jours, à la fois pour les organisateurs, professeurs et danseurs.

Mais comme dans tout long stage de danse, c'est toujours difficile tant sur le plan physique que psychique. Mais on aime ça et on en redemande. Libre ensuite aux différents intervenants d'adapter leurs cours en fonction de la réception des danseurs et de leur fatigue.

Dans les bals français, nous avons ce côté grain de folie

Pour l'anecdote, lorsque nous avons enseigné à Moscou en 2019, nous avions prévu pour la dernière heure du dernier jour de faire notre Polka Cancan, une de nos danses les plus épuisantes, tant au niveau cardio que physique. Et je leur tire encore mon chapeau car pour les couples qui sont restés jusqu'à la fin, ils ont dansé jusqu'à la dernière seconde.

Au final, je dirais que les danseurs Russes sont parfaits en cours, et que lorsqu'ils ont été chauffés à blanc en bal ils deviennent aussi fous furieux que les Français.

Et en fin de semaine, on les découvre avec un cœur gros comme ça sur la main.

Nous avons été très touchés de leur accueil, tant en comme danseurs que comme professeurs.


B.H. : C'est tout à fait bien. Le rythme est dense (comme un stage), mais pas insupportable (en tout cas, pour tous les Français qui y sont allés!). L'ambiance est très sympathique. J'ai pu me faire des amis !

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