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D'où viens-tu, Henri Cellarius ?

Dernière mise à jour : 10 sept. 2022



On a eu quelques scrupules à entamer cet article. Si on a cédé à l'envie de notre rédacteur en chef, c'est que la généalogie est une de ses passions, et que c'est... le rédacteur en chef. Pour faire passer la pilule, on inclut une petite reconstitution de quadrille au piano à la fin... De l'époque glorieuse où le maître de danse qui fait l'objet de cet article s'invitait à la Cour de Napoléon III...


Parler de généalogie n'est pas tout à fait une nouveauté sur Antécédanses, car le 1e article relatif au quadrille des lanciers nous avait permis d'ouvrir l'armoire des archives administratives à la recherche du maître de danse Laborde, qui avait marqué le XIXe siècle, mais pour lequel on ne savait quasiment rien.


Cet anonymat relatif de tous les acteurs qui ont animé la vie dansante du siècle du cancan est une constante. Qu'ils aient été maîtres de danse ou chefs d'orchestre de bals, on sait peu de choses sur eux, à l'exception notable de Jullien, qui a tenu en haleine la Grande-Bretagne pendant 20 ans, ou, dans une moindre mesure, de Musard, qui a égayé Paris pendant la même période.


Les compositions de ces musiciens, entièrement dédiées au plaisir des foules, sont sur le même pied qu'eux : soit perdues, soit attendant sur les étagères des bibliothèques que les mélomanes s'en emparent, mais sans personne pour s'en emparer. Comme si la danse des bals publics et sa musique était un genre subalterne, dégradé, inintéressant, alors qu'il a rythmé la vie parisienne pendant tout le siècle.


Chez Antécédanses, nous nous sommes donné pour mission d'aller chercher ces joyaux méconnus, ces pièces d'anthologie qui ont été fredonnés et dansés pendant des décennies. Nous nous sommes aussi jurés de donner une vie et une histoire à tous ces hommes et femmes tombés dans l'oubli alors qu'ils furent portés au firmament de la vogue.


Dans cet exercice, nous nous attaquons ici à Henri Cellarius, qui fut un des grands théoriciens de la danse du XIXe siècle. Il a, notamment, donné forme à la polka et au quadrille des lanciers, et on peut dire avec certitude que ces danses ne seraient pas les mêmes s'il n'y avait imprimé sa patte.

On peut, de la même façon, postuler que la danse moderne en général ne serait pas tout à fait la même s'il n'avait existé, à la manière de l'aile du papillon qui donne naissance aux tempêtes.


Mais qui es-tu, Henri Cellarius ?


Nous avons déjà apporté des éléments de réponse dans l'article relatif au quadrille des lanciers que nous avons publié ici. Néanmoins, si nous pensons savoir à quoi tu ressemblais, nous voulons ici nous attacher à une autre question qui tient à cœur à notre rédacteur en chef :


D'où viens-tu, Henri Cellarius ?


A cette question, nous répondons à la manière des généalogistes qui remontent dans les générations à la recherche des racines des noms de famille. Que les aïeux de Cellarius aient été originaires de Tombouctou ou de Brie-sur-Marne, cela a-t-il un réelle influence sur QUI A ETE Cellarius ? Pas nécessairement, pas directement, ou peut-être même pas du tout. Néanmoins, c'est à cela qu'on s'accroche quand il s'agit de donner chair aux chers disparus, et qu'on a rien d'autre à quoi se raccrocher.


La voie vers le passé de Henri Cellarius nous est ouverte par cet extrait de naissance contenu dans un dossier administratif de 1826, qui a échappé aux flammes de la Commune.


extrait de naissance de Chrétien Henri Cellarius fils

Chrétien Henri Cellarius naît à Paris le 22 prairial de l'an 13 du calendrier républicain, soit le 11 juin 1805 dans le calendrier grégorien. (Sa naissance n'est rapportée à l'administration que 2 jours plus tard.) En ce sens, on peut déjà dire que notre question "D'où viens-tu ?" a quelque chose d'idiot, car la réponse est toute trouvée : le Parisien Chrétien Henri Cellarius vient de... Paris.

Son père est Chrétien Henri Cellarius (prénoms identiques), de profession potier d'étain (il fabrique des pots en étain), né à Vitemberque, département du Bas-Rhin. Sa mère est Aimée Marie Anne Hugot, de profession blanchisseuse, née à Gisors, département de l'Eure.


A priori rien de particulier... Il est très commun au XIXe siècle que le 2e prénom d'une personne tel que déclaré à l'état civil (ici "Henri") devienne le prénom usuel (ici au détriment de "Chrétien"). Néanmoins, ce dossier administratif a éveillé notre curiosité car, contre toute attente, Cellarius fils y demande dans une lettre manuscrite (écrite de sa main ou non, on ne le saura jamais) d'être considéré comme "fils d'étranger non naturalisé français, circonstance qui [l']exempte de la loi du recrutement" (autrement dit qui l'exempte de ce qu'on appellerait aujourd'hui le service militaire).


lettre manuscrite de demande d'exemption de la loi de recrutement pour Chrétien Henri Cellarius fils

Indice capital, il y déclare que son père est "natif du Royaume de Wurtemberg (Allemagne)".


Pour répondre à la requête, les agents de l'administration se perdent en conjecture. Cellarius père est dit être né à Vitemberque dans le département du Bas-Rhin dans l'acte de naissance de Henri Cellarius fils. Le problème est que ce village n'existe pas ! Et les administratifs de conclure que, malgré ce mystère, Cellarius père doit être français puisque sa naissance est dite avoir eu lieu dans le département du Bas-Rhin, département français.


conclusion des administratifs suite à la demande de Chrétien Henri Cellarius fils

Néanmoins, la question des origines reste non résolue.


A partir de là, l'esprit de notre rédacteur en chef a commencé à divaguer. Quoi de plus excitant pour un généalogiste que le cas d'une personne dont les origines sont déjà mystérieuses à l'époque où il vit ? (Car l'excitation du généalogiste est proportionnelle à la difficulté qu'il y a à pister un ancêtre !)


Alors, ce Royaume de Wurtemberg cité par Cellarius fils ? Une extragance pour échapper au service militaire ou une réalité ?


Notre rédac' chef n'étant pas du tout spécialisé en recherches généalogiques en Allemagne, il a demandé à sa cousine éloignée Mireille Vandersanden d'enquêter sur le cas Cellarius. Mireille est généalogiste professionnelle et a l'avantage d'exercer ce métier en... Allemagne. Une enquêtrice idéale donc ! (Le site professionnel de Mireille est ici.)

Néanmoins, avec des indications aussi vagues, autant dire qu'il lui a demandé de chercher une aiguille dans une botte de foin ! Mais, contre toute attente, le miracle s'est produit : Mireille a trouvé l'aiguille !


L'aiguille est effectivement plantée en Royaume de Württemberg, non loin de Stuttgart.


extrait du dossier des Affaires Etrangères allemandes suite à la demande de Christian Heinrich Cellarius père

Les documents clé trouvés par Mireille sont relatifs à une succession répertoriée dans les archives du Land de Baden Würtenberg.

Ils concernent une demande adressée en 1825 par Christian Heinrich Cellarius, domicilié à Paris, 39 Rue Beaubourg, fondeur d'étain de profession, originaire de Tübingen. Elle concerne la succession de sa mère.

La demande est traitée par le Ministère Royal des affaires étrangères.

On a peu de pièces dans ce dossier, car les pièces jointes ont été rendues à Christian Heinrich Cellarius, néanmoins on a suffisamment d'éléments pour établir le lien avec "notre" Chrétien Henri Cellarius père, sans qu'aucun doute ne soit possible :

Sur ces documents, on voit distinctement l'adresse du demandeur, 39 Rue Beaubourg à Paris, ce qui est l'adresse qui est inscrite comme lieu de résidence de Henri Cellarius fils mentionnée sur la lettre manuscrite qu'il écrit à l'administration française pour éviter le service militaire. CQFD !

(Le fait que les prénoms allemands aient été remplacés par leurs équivalents français dans l'état civil du pays de Molière est l'usage à l'époque.)

le Royaume de Württemberg (source : wikipedia)

Tübingen étant identifié comme lieu d'origine de Christian Heinrich Cellarius père, il était naturel que Mireille aille se plonger dans les anciens registres d'état civil de cette ville. Et là encore, la chance est avec nous. Car une lecture rapide de ceux-ci lui a permis de reconstituer l'arbre généalogique suivant :


arbre de descendance (incomplet) de Marcus Christoph, arrière-grand-père du maître de danse Cellarius

C'est un arbre de descendance : sur chaque ligne on montre les descendants du couple de la ligne supérieure. La descendance est matérialisée par une ligne entre les individus des 2 niveaux.

La rangée située au plus bas est celle de notre maître de danse et est constituée de données qui sont déjà connues. On peut consulter une synthèse des données parisiennes dans l'arbre qui a été reconstitué par Christian Declerck : le lien est ici.


Christian Heinrich Cellarius père, qu'on trouve sur la 2e rangée en partant du bas, nous est aussi connu, ainsi que son épouse Aimée Marie Anne Hugot. Ses frère et sœur sont eux "ressuscités" sur base des registres de Tübingen, ainsi que la rangée du grand-père Johann Christoph et celle de l'arrière-grand-père Marcus Christoph (la 1e en partant du haut). Mireille n'ayant effectué qu'une recherche rapide, il y a encore beaucoup de choses à trouver pour tout généalogiste qui s'intéresserait aux Cellarius de Tübingen.


Pour qui voudrait comprendre l'arbre en profondeur, nous signalons que :

Les sigles ci-contre sont les abréviations des actes suivants. A droite de ces signes, on indique à quelle date s'est produit l'événement de :

  • naissance

  • baptème

  • mariage

  • décès


Pour la compréhension du lecteur, on ajoutera que :

  • Lorsqu'on ne connaît ni le nom ni le prénom d'une personne (ce qui est le cas de l'arrière-grand-mère), on la nomme "NN NN".

  • Marcus Christoph Cellarius est la "ausgangsperson", c'est-à-dire la personne dont on montre l'arbre de descendance.

Que peut-on dire de la famille à ce stade :

  • Christian Heinrich Cellarius père naît illégitime, c'est-à-dire sans que son père ne soit connu ou reconnu. Rosita Margaretha Blankenhornin n'épousera Johann Christoph Cellarius que plus tard : le 30 janvier 1782, à Tübingen. On n'a à l'heure actuelle aucune preuve que Johann Christoph Cellarius soit le père biologique de Christian Heinrich Cellarius père (ni donc le grand-père biologique de notre maître de danse). Dans ses recherches préliminaires, Mireille n'a pas trouvé de reconnaissance de paternité. La seule "indication" qu'on a ait est le fait que le fils prend le nom "Cellarius", mais cela ne constitue nullement une preuve de filiation biologique.

  • La fratrie Christian Heinrich, Susanna Rosina et Elias Christoph ne sont qu'une partie des enfants de Rosita Margaretha Blankenhornin. Le généalogiste intéressé devra encore reconstituer la fratrie complète.

  • Chez les Cellarius, on semble être potiers d'étain de père en fils. On voit ici que la vocation s'est étendue sur au moins 3 générations. Dans sa lignée, le maître de danse Henri Cellarius a été le premier à déroger à la règle.


acte de naissance de Christian Heinrich père. Illégitime, il ne prendra le nom de "Cellarius" que plus tard.

Avec tout le respect qu'on doit à notre rédacteur en chef, il faut bien dire que la généalogie se base essentiellement sur des actes d'état civil, et que ça ne reflète la vie des personnes que d'une façon très lointaine.


Ainsi, s'il est établi que la famille Cellarius est une dynastie de potiers d'étain de Tübingen, cela ne dit pas grand chose sur le maître de danse Cellarius lui-même. Cela ne permet pas directement de nous éclairer sur des questions comme : pourquoi et comment est-il devenu danseur ? Pourquoi Chrétien Henri père quitte-t-il Tübingen ? Pourquoi doit-il passer par la voie du Ministère des Affaires Etrangères pour poser des questions relatives à la succession de sa mère ? Pourquoi dit-on qu'il est né à Vitemberque dans un département français et qu'il n'y a pas plus d'exactitude sur son origine exacte ? Autant de questions auxquelles on ne pourra peut-être jamais répondre... Néanmoins, des dires de Mireille Vandersanden, il se pourrait bien que les livres des familles de Tübingen, qu'elle n'a pas consultés, recèlent encore des éléments intéressants.


LES LANCIERS DE CELLARIUS RECONSTITUES


Pour terminer cet article, nous mettons en ligne la reconstitution du quadrille des lanciers tel que le musicien Maxime Alkan l'avait arrangé pour Cellarius, vers fin 1856 / début 1857. Comme nous l'avions expliqué dans l'article qu'on peut trouver ici, Cellarius a été l'un des 2 maîtres de danse célèbres (avec Laborde) qui ont tenté de donner une forme française à ce quadrille anglais et qui ont tenté de populariser leur version dans les salons du Palais des Tuileries, à la Cour de Napoléon III.



L'arrangement que nous mettons en ligne sur YouTube permet de voir qu'Alkan s'est très peu démarqué des mélodies d'origine du quadrille anglais : en fait, il reprend toutes les mélodies venues de Grande-Bretagne, sauf la 4e, pour laquelle il compose une musique originale. (Le quadrille a été reconstitué par notre complice Ilkay Bora Oder, dont le site est ici.)


Nous joignons également ici la reproduction des instructions de danse données par Cellarius. Cela vous permettra de mesurer dans quelle mesure la version des Lanciers que vous dansez est proche ou pas de ses instructions et de tenter de le danser dans la forme où la Cour a appris à le faire lorsque Cellarius se rendait aux Tuileries, ou quand les dames de la Cour se rendaient à son cours à l'Ambassade d'Angleterre. Si nous parlions plus haut de Cellarius comme l'un des maîtres de danse qui a donné forme à la façon de danser les Lanciers, c'est qu'il est à notre connaissance celui qui a imposé le pas de polka comme pas de la dernière figure. Il est probable qu'avant lui Laborde disait simplement d'utiliser le pas marché. Ce dernier ne précisait en tous cas aucun pas particulier pour exécuter la figure, contrairement à Cellarius, qui le fait explicitement. Au sujet du pas de polka, le "Journal des coiffeurs" (sic) du 1er mars 1857 dit d'ailleurs :


Il paraît que les Lanciers sont déjà en guerre. Il y a le quadrille démontré par Cellarius, qui se termine par une polka générale et qui est le véritable quadrille anglais, tel qu'on le danse à la cour de la reine Victoria. Puis de faux Lanciers, qui n'ont pas passé la Manche et qui se donnent une autre paire... de manches.


On ne s'avancera pas, comme le fait ce journal, pour dire qu'il y a de faux et de vrais Lanciers, encore moins pour dire que les vrais sont ceux de Cellarius. Néanmoins on est tout à fait prêt à croire que c'est le grand maître de la polka Cellarius qui l'a introduite dans les Lanciers.


Notons finalement que, sur la grande chaîne plate de la 5e figure, Cellarius ne dit pas d'effectuer des double pas de polka pour changer de partenaire : dans la version Cellarius, on est obligé de s'interrompre à chaque quart de tour en "marquant le pas de la polka sur place" pour ne pas faire le tour trop vite, signe qu'on progresse plus vite sur le cercle dans sa version.


instructions générales de Cellarius pour danser le quadrille des lanciers
instructions de Cellarius pour danser la 1e figure
instructions de Cellarius pour danser la 2e figure
instructions de Cellarius pour danser la 3e figure
instructions de Cellarius pour danser la 4e figure
instructions de Cellarius pour danser la 5e figure

REMERCIEMENTS


Merci à Mireille Vandersanden pour ses recherches généalogiques en Allemagne. (Voir son site https://www.genialogic.de/fr/ )


Merci à Christian Declerck pour la rapidité de ses réponses et l'excellence des informations généalogiques qu'il a stockées sur geneanet.


Merci à Madame Odile Troesch-Varlet et Messieurs Richard Powers, Mike Gilavert et Julien Tiberghien pour les questionnements fort sympathiques sur les origines et l'écriture de Cellarius. J'espère que cet article aura permis de répondre à certaines de vos interrogations.





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