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1788 : Ça ira Marie-Antoinette ! (ou pas)

Dernière mise à jour : 17 mai 2021


portrait de la jeune Marie-Antoinette au clavecin. auteur incertain (Drouais ? Wagenschön ?)

Tout a déjà été dit sur le "Ah ça ira !", chanson révolutionnaire qui a motivé cet article. Celle-ci a même droit à sa page wikipedia, c'est dire le succès !


Outre l'intérêt historique et le fait que tous les francophones du monde la connaissent par cœur, on saluera, en plus, l'impeccable storytelling autour de la chanson : toutes les sources consultées reprennent en cœur que Marie-Antoinette en aurait joué l'air pour le plaisir sur son clavecin. info ou intox ? On ne le sait pas : nous ne sommes pas parvenus à retrouver une source d'origine qui ferait de cette affirmation un fait et non une légende (bien séduisante, du reste).


Si cela est vrai, cela se produisait bien sûr AVANT que la mélodie ne soit utilisée par les révolutionnaires. En effet, comme on le dit aussi sur wikipedia : les paroles du "Ah ça ira !" sont posées sur l'air du "Carillon National", une contredanse très populaire due à un certain Bécourt, contredanse qui existait avant la chanson. Autrement dit, les Révolutionnaires n'ont fait que récupérer un air dédié au plaisir de la Reine pour l'habiller d'une belle cocarde tricolore !

Notez que ce "recyclage" de mélodie serait d'autant plus ironique si une autre légende s'avérait correcte : d'aucuns disent que cette chanson aurait été chantée par le peuple sur le trajet de la Reine vers l'échafaud...


1. LA DANSE


Ce blog étant avant tout destiné à étudier les danses dans l'Histoire, nous nous attarderons donc bien ici sur le "Carillon National" en apportant quelques éléments que nous pensons nouveaux à son sujet.


Première constatation : il n'est pas si évident de trouver des informations spécifiques à la contredanse avant que son air ne soit adapté en "Ah ça ira !" par la Révolution. Wikipedia renvoie d'ailleurs déjà à une partition qui inclut les paroles de la chanson.


source : https://gallica.bnf.fr

Le Ménéstrel ne dit pas autre chose dans son édition du dimanche 18 septembre 1898 : bon nombre de personnes sont déjà revenues bredouilles de leur recherche de la danse originelle.

Néanmoins, à cœur vaillant rien d'impossible, et l'endroit où le trouver est finalement très logique : il suffit de se rendre à la bibliothèque. Encore faut-il trouver la bonne...

(Pour la commodité de la progression de notre récit, nous insérons le fac-similé publié dans "Le Ménéstrel" ci-dessous et non "ci-dessus" ;-)


Le "Carillon National" est donc la feuille 570 des recueils de contredanses publiés par Frère.


Certains groupes de danse historiques le dansent conformément aux figures initialement décrites, sur les traditionnels reliquats de danse baroque de la fin du XVIIIe siècle.


La publication de Frère stipule les traits suivants :


1. Un cavalier et une dame de vis-à-vis traversent et rigaudon

2. Chassent à droite et à gauche, traversent à leurs places et rigaudon

3. Figures avec vos dames sur les côtés à droite et pirouettes sur place

4. Un tour de main entier à la dame de vis-à-vis

5. En avant tous les 4 et en arrière

6. La demie chaîne angloise et à vos places

Contre partie pour les 6 autres


Hervé Canals du groupe de reconstitution historique français Montilisio Salto nous a bien confirmé que c'est la chorégraphie publiée par Frère qui est exécutée ici par son groupe :


Néanmoins, depuis que nous tenons ce blog, nous nous disons qu'on peut toujours compter sur les archives anglaises pour nous emmener au-delà de nos certitudes. Et pour le Carillon National, c'est à nouveau le cas : si la version publiée par Frère est celle qui semble faire école en France, en Grande-Bretagne Lord Brotherton a cédé à l'Université de Leeds un recueil de contredanses qui contient une autre version que la bibliothèque a photographiée pour nous. Il s'agit d'une publication de Bouin : c'est la feuille n°538 de sa collection, qu'on trouve dans son 18e recueil de contredanses.


Nous la reproduisons ci-dessous :


source : université de Leeds

Les traits, un peu différents de la publication de Frère, en sont :

1. Un cavalier et une dame de vis-à-vis traversent et rigaudon

2. chassent à droite et à gauche

3. retraversent et rigaudon

4. la demie queue du chat 4 de vis-à-vis et rigaudon

5. un tour des deux mains

6. en avant 4 et en arrière

7. la demie chaîne anglaise

les 6 autres de même


À vue de nez, cette version est proche de celle dansée par les Suédois de Empirsällskapet ci-dessous :


Nous avons contacté le sieur Ville Dahllöf qu'on voit ici au clavecin. Il s'avère que nos amis suédois ci-dessus s'appuient sur un recueil de contredanses manuscrit de leur pays. (Le lien vers le recueil est ici.)

La couverture, son verso avec le commentaire en français (à la formulation assez comique pour les modernes que nous sommes) ainsi que les pages relatives au Carillon National sont reproduites ci-dessous. (Appuyez sur les flèches pour faire tourner le carrousel aux images)



Je ne possède pas la langue suédoise, néanmoins les quelques mots de français qu'on y trouve (P.D.R = pas de rigaudon ?) permettent de voir que, si la version est proche de Bouin, elle est tout de même légèrement différente puisqu'on cite notamment une "allemand(e)" parmi les traits de la contredanse, ce qui ne modifie certes pas significativement les déplacements !


En conclusion de ces 3 versions (ou 2 versions et demies ?) du Carillon National, on peut peut-être déduire que la mélodie a été plus stable que la danse, ce qui explique peut-être pourquoi l'air a été seul transmis à la postérité !


2. LA DATATION


En France, la datation des contredanses est un exercice ardu. Néanmoins, en ce qui concerne le Carillon National publié par Bouin, nous bénéficions d'un alignement des planètes...


La feuille de la contredanse indique qu'elle apparaît dans le 18e recueil de Bouin. Il ne "reste qu'à" savoir quand est paru ce recueil.

Or, nous trouvons en ligne sur google books la publication par Bouin de l'opéra comique "Le Rosier", monté au Théâtre des Beaujolais de Paris. Dans le livre, on trouve le catalogue des publications de Bouin, et à l'heure où on imprime l'opuscule, la collection des contredanses publiées ne compte que 18 volumes, le 18e étant par le plus grand des hasards celui dans lequel on trouve le "Carillon National". On peut donc supposer que le 18e volume est peu ou prou contemporain de la publication du "Rosier".

La clé de la datation nous est alors fournie par oxfordmusiconline qui stipule que l'opéra "Le Rosier" de Barnaba Bonesi connaît un grand succès à Paris au théâtre des Beaujolais en avril 1788.

Faute de datation plus précise, on estimera donc que Bouin publie le "Carillon National" en 1788. Marie-Antoinette aurait donc tout à fait pu en jouer l'air avant la Révolution !


source : google books

Evidemment, il se pourrait que la contredanse circule déjà depuis un moment dans les salons quand elle se retrouve figée dans le 18e recueil, et que la publication de 1788 ait été faite bien après que la contredanse a été composée. Mais même si ç'est le cas, on ne le saura probablement jamais !


3. L'AIR


Il nous semble aller de soi de conclure cet article sur ce qui aura traversé les siècles : la mélodie de la contredanse !


Au sujet du compositeur Bécourt, on n'a pas mieux que ce qu'en dit la BNF et qui nous paraît tout à fait probable si on part du postulat que Bécourt s'appelait Jean Antoine.

Les informations sur la famille Bécourt des environs d'Arras ont été mises en ligne par Gérard Chevalier, descendant de Marie Thérèse Bécourt, tante de Jean Antoine.


Il nous reste à mettre ici le lien vers l'air donné dans la partition publiée par Bouin. Pas de surprise sur la composition ! On la connaît bien !

Nous l'avons encodée sur les instruments "virtuels" du logiciel musescore. La publication la donne pour 2 violons, néanmoins le son électronique des violons imités par le logiciel nous a tellement fait mal aux oreilles que nous avons opté pour autre chose.

Ne disions-nous pas dans l'introduction de cet article que Marie-Antoinette aimait, paraît-il, jouer cet air au clavecin ? Ça tombe bien, le rendu du clavecin dans musescore est légèrement meilleur que celui du violon. Et si on a beaucoup bu, ce qui peut arriver pendant un si long confinement, on peut même croire que c'est un vrai clavecin qui joue !


Veuillez donc recevoir, chère Marie-Antoinette, toutes nos amitiés. Nous espérons que ce bref intermède musical vous siéra. Profitez-en bien, dans l'année 1788 où on vous observe, car cela pourrait ne pas durer longtemps...

(P.S. Et évitez svp que l'ivresse de la musique vous fasse perdre la tête.)



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